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Читем онлайн Избранные труды - Вадим Вацуро

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j ’étais fâché! que j’en voulais à tout le sexe. Ça m’a plongé dans une longue rêverie: j’ai passé en revue les avances de ma charmante cousine, l’inconstante Nanine: puis la volage Annette L….vicz, puis Antoinette T…rgersky: je ne me suis reposé que sur le souvenir de la douce Joséphine: celle-là ne voulait pas me tromper, elle ne me donnait point d’espérances, mais elle m’aimait d’ami-tié. Bonne, aimable Joséphine, tu pleurais en quittant W… ting, tu me disais: si vous passez un jour en France, venez me voir. Et j’ai été en Yasselonne à six lieues de Saint-Diez sans pouvoir venir te voir. Reçois un soupir, bonne D…

Je r êvais, je me transportais tantôt dans la terre de mon oncle, tantôt à Charkoff, chez aimable Catiche Str…, tantôt à W… no, tantôt en Pologne, et les heures s’éculaient. Me voilà reveillé de mes pensées par une voix qui me souhaite le bonjour, je me retourne, je vois Mr. Fleury: je lui demande l’heure qu’il est. – II est neuf heures passées, dit-il. Je me lève et je m’enfuis pour arriver à temps à la société. Glinka, Boulgarine, Baratynski, Delvig etc. me font force amitiés. Je me contrains à rire avec eux et je ne joue pas mal mon rôle. J’ai proposé le Colonel Noroff pour être admis comme membre de la so-ciété: lundi en huit il sera reçu, je l’en préviendrai jeudi.

A minuit j ’ai passé de nouveau chez Jakowleff, j’y ai trouvé Baktine. Nous avons passé en revue les personnes du haut partage, les gens en places et nous avons ri de très bon cœur. Le cernement de ces deux jeunes gens m’est infiniment agréable, surtout quand nous faisons le trio. De l’esprit sans préten-tions, des observations vraies, un tact juste – voilà leur caractéristique; c’est à la fois amusant et instructif.

Elle n ’a pourtant rien dit à Jakowleff sur mon compte. Elle le boud e.

Je suis rentr é à dix heures et je me suis couché, je n’ai pu rien lire selon mon habitude: je n’ai pas eu le cœur à la lecture.

Aujourd ’hui je me suis réveillé à six heures. Ma tête est pesante et mon cœur vide.

Je r éfléchissais sur ce que j’ai à entreprendre. Ne plus y revenir serait le plus salutaire à mon repos: mais ça aurait blessé les convenances; ça aurait donné des soupçons au mari de la dame. Pourquoi la compromettrais-je? Le plus convenable est d’engager le Prince à déménager le plutôt possible à la campagne – ceci m’aurait servi d’excuse et m’aurait épargné la mortification de m’exposer encore aux caprices de Madame.

Mr Schydlowsky doit arriver dans quelques jours. La Princesse Barbe m’a dit bien des choses de sa part. C’est sur le sein de cet ami que je me repo-serai de la tourmente que j’ai essuyée en son absence. En vérité s’il était ici dans ce temps-là, j’aurais toujours été avec lui et son aimable épouse, je n’au-rais pas alors écouté Yakowleff qui voulait absolument me faire faire connais-sance avec la maison de Mme P…. reff. Il me persuadait qu’on désirait m’avoir dans cette maison: je me proposais le plaisir de connaître une femme accom-plie, qui possède une infinité de connaissances et de talents, qui est aimable, folâtre, etc. etc. Son époux vient deux fois aux soirées d’Ismaïloff, nous faisons connaissance ensemble, il m’invite à venir chez lui et je lui ai dit que j’y viendrais, bien sûr de ne jamais faire usage de ses avances. Je viens un soir

chez Jakowleff, j ’y trouve un jeune Portugais et M. Baktine; nous causons ensemble et voilà une voix de femme qui se fait entendre dans l’antichambre. J’avais déjà sur la bouche le compliment à faire à Yakowleff, lorsqu’il dit: C’est S… D… Je vois entrer une jeune dame, je reconnais M-r P…reff dans celui qui la suivait; je crois encore voir un visage que j’ai vu quelque part et que je me remets dans la mémoire pour celui de M. T…hoff que j’ai vu autre-fois à Charkoff.

Cette premi ére entrevue ne fit pas une grande impression sur moi: j’ai vu en elle une dame très-aimable, d’un babil charmant: j’ai tâché, autant que je l’ai pu, d’être gai et poli auprès d’elle; il me paraissait d’abord que je ne courais aucun danger, ce qui m’a rendu peut-être un peu trop franc et jaseur cette soirée. Je n’aime pas la contrainte, mais cette fois-ci je me suis mis à une table de wiste que je déteste, ce qui m’est aussi arrivé mainte et mainte fois par la suite. Je parlais moi-même, j’ai remarqué que c’était trop, mais j’allais toujours mon train pour faire voir que je n’aime pas à me contraindre ni à en-velopper mon peu de mérite dans un dehors de la fausse réserve: je ne sais si j’ai plu ou deplu par là. Le hazard m’a procuré l’honneur de jouer deux roberts de suite avec la Dame; Mr. Baktine, frère ainé de Nicolas, a voulu faire briller son talent de bel-esprit, en disant que nous étions inséparables; la politesse exigeait que je dise un mot de compliment; aussi je n’ai pas manqué de dire que ce serait un bonheur pour moi. La Dame a bientôt interrompu la partie; el-le m’a paru un peu piquée. Un moment après je l’ai entendu dire à Mr. Jean Baktine: qu’est-ce que ce compliment? J’ai cru entendre qu’il s’agissait du mien, mais j’ai eu bien l’air de n’y faire aucune attention, je n’ai pas changé d’humeur tout le reste de la soirée. En passant la Dame m’a dit force compliments, qu’elle serait, par exemple, enchantée de me voir chez elle, etc. etc. J’y ai repondu tant bien que mal et nous nous séparâmes.

La premi ère fois que j’ai été chez elle, j’étais enchanté; elle a été d’une gaieté charmante: beaucoup d’esprit, une saillie naturelle, quelquefois du sentiment. Je ne l’ai jamais vu depuis de cette humeur-ci. Je peux me vanter d’avoir été d’abord traité avec plus d’égard que Panaïeff et quelques autres de mes connaissances: avec eux elle ne s’y prenait que par des enfantillages; la comparaison que j’ai fait depuis a dû flatter ma petite gloriole. Cependant j’ai toujours tenu ferme; j’ai été d’une politesse et d’une réserve désespérante; et même par la suite faisant pour elle des poésies bien tendres, j’ai toujours été circonspect et même froid dans ma conduite personnelle; de sorte qu’ayant une fois pris congé d’elle lorsqu’elle me demandait quand je reviendrais et que je lui ai repondu que mon unique bonheur est de la voir aussi souvent que possible, elle m’a dit qu’on ne me prendrait jamais, et que je suis ardent dans les paroles et froid dans le cœur. C’était déjà un avis au lecteur: quelqu’un plus prudent et plus défiant que moi aurait compris qu’on ne tarderait pas à se ven-ger de cette prétendue froideur; moi je n’ai pas voulu être sur mes gardes et j’ai donné dans le panneau.

C ’est pour se venger sans doute de mon indifférence qu’elle m’ a retenu au chevet de son lit le 24 avril. Elle a su renvoyer tout le monde, mais elle a pris la pr écaution de laisser la porte de sa chambre à coucher ouverte. Elle me parlait de la confiance qu’elle avait en moi, de la préférence qu’elle me faisait à tous les autres: le tout était accompagné d’un regard si tendre, d’un air si ca-ressant, que J’a oublié mes belles résolutions d’être impassible. Son épaule se découvre, puis son sein se dévoile devant mes yeux. Je n’y tiens plus: je le couvre, je le mange de mes baisers, ce beau sein qui semble ne se soulever que pour l’amour et le plaisir, ma main indiscrète s’égare en caressant cette gorge d’albâtre: je tremblais, j’étais au supplice d’un homme torturé: dès ce moment-ci je me suis voué à elle, et, sot! je lui en ai fait le serment. Elle me disait que je voulais la perdre, et dieu sait où j’en serais, si Jakowleff n’était survenu sous le prétexte de lui porter des excuses. Dans ce moment même ma bouche était collée sur la sienne, elle même me donnait des baisers qui embrasaient tout mon être, ses yeux étaient presque éteints; encore une minute… et je m’abreuvais peut-être dans la coupe de félicités… Mais non! ce n’étaient que des grimaces: elle a vu qu’il n’y a que ce seul moyen de m’attacher à son char de triomphe et elle a voulu sauter par-dessus quelques considéra-tions pour atteinde son but… L’impitoyable Jakowleff m’entraine de sa chambre; confus et hors de moi, je le laisse faire, j’entre dans le cabinet de Mr. P… reff, et j’ai été bien longtemps avant de me remettre: je tremblais de tous mes membres, je tréssaillais du plaisir en me souvenant de cette scène qui me fait encore la plus douce souvenance et un trésaillement universel, comme si une étincelle d’électricité eut passé par tout mo n individu.

Ce 2 Juin 1821, à 11 du matin.

On enterre le pauvre Archippe dans ce moment-ci; je l ’ai vu en passant; ce visage pâle, défiguré, et le repos de la mort qui veille au chevet de son cer-cueil. Вечная память, добрый, любезный Архип!

Mr. A. Toumansky m ’envoie dire que mon cher Basile va bientôt revenir de son voyage, qu’il est déjà en route, quelles nouvelles m’apportera-t-il de Paris?

Fleury m ’a dit dernièrement qu’il a aussi reçu une lettre de Mr. Rousseau. Comme j’en ai reçu une de Madame par le jeune Bourgeois, et que ces lettres ne contiennent rien d’intéressant, si ce n’est des nouvelles de famille, je n’ai pas voulu demander à Mr. Fleury la lecture de celle qu’il vient de rece-voir. NB. [19]

Il faut aussi passer à la maison de la Princesse Golitzin pour m’informer si l’on a reçu des nouvelles du Prince Alexis, et s’il n’y a point un petit bout de billet pour moi. Je crains beaucoup des suites du duel qu’il projettait avec le comte Meller. Voilà mes connaissances chez la Princesse Pauline dispercés sur la surface du globe! Mar<ieu> est à Langbach, celui-là va se battre, les autres sont allés faire la campagne contre Dieu sait qui!

Ce 1 heure et demi.

J’ai lu ce matin La Gerusalemme di Tasso. Je ne sais trop pourquoi, lorsque je trouve quelque chose d e beau, d’agréable, d’enchanteur, je cherche toujours une comparaison ou une allusion à faire à elle. Toujours elle! Elle ab-sorbe toutes mes idées et cependant je suis résolu de l’oublier ou du moins de ne penser plus à elle. Le portrait d’Armide arrivée au camps de Godefroi, me parut être le sien: j’y cherchai le sourire, le regard de mon enchanteresse; mais voilà surtout un passage qui m’arrêta:

E in tal modo comparte i detti suoi,

E il guardo lusinghiero e in dolce riso,

Ch ’alcun non è che non invidii altrui,

Nè il timor dalla speme è in lor diviso.

La folle turba degli amanti, a cui

Stimolo è l’arte d’un fallace viso,

Senza fren corre, e non li tien vergogna, —

etc.

Hier, en revenant de chez Mr. Ostolopoff, j ’ai passé exprès dans la rue de Sellerie pour me donner le plaisir de battre encore de mes pieds le même pavé par lequel j’allais et revenais chez elle. Il me semblait que je venais de sa maison au beau milieu du mois d’avril, lorsque j’ai eu encore la tête remplie des rêves d’un bonheur imaginaire, je ne sais quel contentement se répandit subitement dans mon âme à cette seule idée; mais bientôt je suis descendu des nues et j’ai soupiré en pensant à la triste réalité qui m’est restée en partage.

Ce 3 Juin 1821 à 7 heures du matin.

Hier à 7 heures je suis allé à la séance de la société au Château S. Michel. J’y ai trouvé Gretsch. Nous avons parlé (lui et moi, s’entend) des affaires ac-tuelles de la France et de notre patrie. Il m’a raconté plusieurs faits qui se trouvaient dans les journaux libéraux. Entr’autres le vote d’un ultra pour éle-ver les enfants des Protestants dans la religion Romaine. Ont-ils le sens com-mun, ces gens-là? prennent-ils les français pour des votéistes?

Dans la s éance on a élu Bulgarine que j’ai proposé, à l’unanimité; cela a fourni à Gretsch une observation sur les effets de la civilisation et des lumières du siècle; vu qu’un ennemi littéraire propose son ennemi; que ces mêmes en-nemis se chérissent comme des amis véritables, etc.

Izmailoff m ’a demandé des nouvelles de Mme. Je n’ai pas pu lui répondre ne l’ayant pas vue depuis six jours. Gretsch m’a autorisé d’écrire à Mr. Katschénowsky pour lui annoncer l’article méchant et d’une bassesse extrême que Woïeikoff va lancer contre lui dans le Fils de la Patrie. Gretsch m’a prié même de le lui écrire; il a beaucoup bataillé avec Woïeikoff au sujet de cet article, mais comme il n ’a pas le droit de s’opposer à l’insertion de cet article, il laisse faire son cher camerade jusqu’au 1 Janvier 1822, où ils doivent se dé sunir.

Bulgarine va bient ôt lire une diatribe sanglante contre Woïeikoff sous le titre « Le Cachet de l’abjection» (Печать отвержения).

Nous sommes partis avec Gretsch vers 9 heures pour aller chez Bulgari-ne. Chemin faisant nous avons parl é de Madame. J’ai parlé avec beaucoup de feu de ses grâces, de son esprit et de ses talents. Gretsch m’a dit que c’est bien dommage qu’elle ne l’entende pas.

Nous n ’avons pas trouvé Bulgarine chez lui; j’ai passé ensuite chez Ja-kowleff et chez Baktine, également sans les avoir trouvé l’un et l’autre.

A dix heures et demi je suis rentr é. J’ai voulu me mettre à écrire et voilà qu’on frappe à ma porte. J’ouvre et je vois entrer Yakowleff; je lui demande des nouvelles de Madame, mais il ne l’a pas vue non plus depuis mardi. Nous nous sommes convenus d’y aller demain (c’est à dire aujourd’hui). Voyons ce qu’elle me dira. Je ne sais pas, mais depuis mardi ce n’est plus pour moi un plaisir d’y aller, c’est une peine. Il me semble que j’y porterai une bien triste mine, mais je tâcherai de me contraindre et de paraître gai, indifférent, autant qu’il me sera possible.

On vient me dire que le Prince m ’invite à venir prendre le thé chez lui. Puis cessons notre journal pour le reprendre demain ou ce soir.

Ce 4 Juin 1821 à 7 heures du mat in.

J ’ai été chez elle. J’y ai passé toute la journée d’hier. Yakowleff n’étant point venu, je n’y ai trouvé que Panaïeff et cet éternel Lopês qui est pourtant un très brave garçon: mainte et mainte fois il m’a invité chez lui et comme je veux à présent changer de conduite à l’égard d’elle, je veux bien aller chez lui un dimanche.

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