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Читем онлайн Избранные труды - Вадим Вацуро

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Eh bien, Madame! quelque p énible que soit pour moi le sacrifice, je le consommerais: j’ôterai de vos yeux l’objet de vos dégoûts et de vos mépris, je vous épargnerai la peine de me voir.

Les égards que je vous dois, Mme, à vous et à Mr votre époux m’oblige-ront de paraître de temps en temps chez vous jusqu’à une certaine époque afin d’éviter une interprétatation; mais ces visites seront courtes et ne vous comprometteront point, comme vous avez eu la bonté de me le si gnifier.

La fiert é naturelle à des gens qui n’ont pas le front d’airain, me le com-mande; je ne peux pas supporter qu’on me méprise, je ne veux pas non plus être à charge à personne.

Je me rappelle bien ce que vous avez dit une fois des gens pauvres qui ont du caract ère, au sujet d’une de nos connaissances: «Il est fier, parce qu’il est pauvre». Eh bien, Madame, je suis plus pauvre encore, et je suis fier, bien que la pauvreté ne soit pas un mérite à étaler, comme ce n’est non plus une honte à cacher!

Une de mes lettres pr écédentes vous aura instruite de la justice que je sais me rendre à moi-même, de la vraie opinion que j’ai de mon individu. Il reste encore un grand défaut que je n’ai point nommé, mais que j’ai fait voir dans plusieurs occasions: c’est l’excès de franchise.

Que vous ai-je fait, Madame? je vous aimais!..

Si vous m ’eussiez vu hier dans l’état angoissé où je me trouvais, mon visage enflammé, mes yeux égarés, si vous eussiez pu sentir les palpitations in-termittentes de mon coeur… etc. Non! je n’ai pas voulu vous offrir ce spectacle (qui vous aurait peut-être attrister: je me suis enfui à toute force). Arrivé près de corps-de-garde, en face de la petite église, je me suis trouvé mal; un bon soldat, qui était en faction, eut pitié de mon état, il a sonné des camarades, qui m ’ont introduit ou plutôt porté dans l’intérieur et m’ont prodigué tous les se-cours qu’ils pouvaient imaginer; grâce aux soins de ces excellents militaires, je me suis un peu remis au bout de quelques moments et je suis parti. Etant rentré chez moi, j’ai eu un accès de fièvre; le sommeil fuyait de mes yeux; mon coeur était serré et ma poitrine oppressée comme si un poids énorme m’écra-sait et me cessait la respiration. Vers dix heures du matin, deux ruisseaux de larmes, de ces larmes brûlantes de désespoir, m’ont un peu soulagé; mais je n’ai pas pu fermer la paupière.

Quand je me souviens que voil à un mois, que j’ai été traité bien autre-ment! Oh! ç’était le jour de mon bonheur, trop <нрзб.>, il est seul dont le s ouvenir me soit doux, dont l’agréable image effleure encore mes lèvres d’un sou-rire des bienheureux, il m’ouvrait les cieux pour me replonger dans l’abyme du néant. Je me dit alors: Oh, de qui dependait mon bonheur? et qui s’est joué du crédule? Confiant, je me livrai entièrement… <незак.>

Simple et confiant, je me sens si faste; malheureux par ma condition, d étrompé du bonheur et des plaisirs de la vie, presque mort dans l’âme… Oh! Si j’étais mort en effet, ce serait pour moi une félicité… [18]

Jouissez, Madame, du bonheur qui doit toujours être votre partage. Oub-liez un malheureux qui n’est pas digne de votre souvenir, arrachez son nom partout où il se trouve, ainsi que tout ce qui peut le rappeler à votre mémoire. Adieu, Madame!

J’ai l’honneur d’être avec une estime sans bornes (je veux cacher au fond de mon âme l’expression des sentiments plus tendres).

Madame!

Votre tr ès humble, très dévoué serviteur

Oreste Somoff.

Ce 27 mai, à 1 heure après minuit.

Que l ’opinion de l’objet adoré a de puissance sur nous! Elle nous élève l’âme, nous communique une dignité ou nous abaisse et nous atterrie. Peu de jours avant, lorsque j’étais honoré d’un gracieux accueil, lorsque j’avais la permission de vous suivre sans m’attirer votre indignation j’étais aux cieux, je me supposais même plus de mérite que je n’en aie, je prenais un maintien plus sûr et si j’ose le dire, plus noble, afin de pouvoir vous contempler avec plus de dignité… Aujourd’hui méprisé, proscrit, je m’humilie à mes propres yeux, je n’ose presque <оторван край листа> mes regards sur votre personne. Dans ce même instant rentré sous mon humble toit, j’hésitais si je devais allumer la lumi ère; <оторв.> craignais de remarquer quelque chose d’odieux <оторв.> et dans mes propres traits j’avais peur de moi-même.

Ce 28 Mai, à 11 heures du matin.

Le sort en est jet é; cette lettre doit parvenir à sa destination; c’est mon droit de mort… Quel supplice! mon âme est déchirée, mon cœur en proie aux mille tourments qui le torturent, ma tête s’égare!.. Soutiens-moi, juste Ciel! prête-moi assez de forces po ur pouvoir remettre cette lettre fatale.

à midi.

Ah! un mot de salut, Madame! et vous m ’arrêtez sur le bout du précipice.

Ce 31 mai 1821.

Je sais que je ne devais plus vous écrire, Madame! peut-être suis-je fau-tif envers vous: mais vous, Madame, vous qui êtes une divinité par la figure, par l’esprit, par le cœur, vous devrez aussi avoir une bonté divine, vous devrez pardonner à un homme dont la tête s’égare, dont la raison se trouble, dont le cœur est malade, et malade sans espoir de guérison. Je vous ai conjuré, com-me un signe de grâce, comme un signe de vie de m’écrire petit billet de votre main pour lundi; un billet qui m’aît dit que je ne suis pas encore tout à fait perdu dans votre opinion, que je ne suis pas méprisé, proscrit. – La journée passe, le billet n’arrive point, et je suis dans des transes mortelles qui ne s’apaisent pas même jusqu’en ce moment-ci.

Eh bien, Madame, tout vient à l’appui de mes soupçons; par excès d’hu-manité, seulement, vous n’avez pas voulu me le confirmer en face, pour ne pas réduire au désespoir un homme dont les sentiments ne vous sont que trop con-nus. Vous dirai-je, Madame? c’est exprès que dans ma dernière visite, resté seul auprès de vous, j’ai hasardé ce mot de caresse: c’était une pierre de touche, une espèce de sonde: vous n’avez pas manqué à me demander d’un air grave et d’un ton de voix sévère: Quelle caresse. C’est alors que j’ai balbutié pour vous répondre. Soyez sincère une seule fois avec moi, Madame! Dites que je vous déplais, que je vous ennuie: un aveu de cette nature sera dorénavant la boussole de ma conduite.

C ’est une chose inexplicable que le cœur: torture que j’acquiers, la tris-te certitude de n’être plus agréé, il ne bat que pour vous: mon imagination est rempli de votre image, je me promène, je vois une dame de votre taille, et c’est vous que je crois reconnaître en elle: j’écris sur ma table, je détourne la tête, et c’est vous encore que je vois à côté de moi. C’est une fièvre blanche; je bats la campagne, Madame: n’en soyez point fâchée, plaignez-moi. Hélas! que j’en-vie… je n’ose pas achever: mon père là-haut s’en fâcherait… je me prosterne devant lui.

Malheureux! et j ’ose aussi me traîner à vos pieds

Madame! Votre tr ès-humble et très dévoué serviteur O. Somoff.

ДНЕВНИК О. СОМОВА

J’ aurais payé de mon existence si j’avais pu être heureux avec elle une seule fois dans ma vie: oui, je le jure même à prèsent, quand je veux l’oublier, que si on me disait: tu seras comblé de ses faveurs, mais tu seras mort une heure après par le plus cruel des supplices, – je n’aurais point hésité. Elle a beau prêcher contre l’amour sensuel et pour l’amour platonique: elle n’est point faite pour ce dernier. Ces regards provoquants, cette haleine qui respire le plaisir, ces attitudes, ces gestes involontaires si voluptueux, si propres à inspirer et à exciter un amant passionné, ces demi-mots qui entre’ouvrent le paradis; tout cela n’est pas en harmonie avec cette chaleur douce et monotone qu’exige un amour platonique.

Depuis ce temps-l à elle a changé totalement sa conduite à mon égard. Elle me boudait, elle me reprochait même le désir d’être heureux pendant ce fatal tête-à-tête. J’ai vu alors son triomphe et ma défaite; j’at vu que je perdais dans son opinion et qu’elle voulait se prévaloir de l’ombre de faveur qu’elle m’avait une fois accordée. Enfin, donnant la préférence à mes yeux tantôt à celui-là, tantôt à cet autre, elle avait cru me blesser, m’outrager par ses démar-ches. Parlant sans cesse à l’ècart aux autres, elle n’a pas voulu me laisser dire deux mots de suite; si je me trouvais seul avec elle, elle affectait une hauteur et une espèce de mépris, dont elle voulait sans doute m’accabler. Elle s’y trompe: je suis le premier à reconnaître mon peu de mérite; et surtout j’étu-diais bien mon extérieur simple et bénin, que je n’ai jamais pris la peine de composer. Et dernièrement, sachant que je suis venu, elle envoyait sa fille de chambre, tantôt pour prendre un livre, tantôt pour lui apporter un coussin ce qui voulait dire d’une maniére très visible: je sais que tu est là, mais je veux te mortifier, te outrager… Et pourquoi? pour un vain caprice… Oh! cela n’a pas de nom… Mes resolutions sont prises: adieu, Madame! j’ai vingt huit ans et je suis déjà las d’être le jouet de vos fantaisies; il est temps d e se reposer un peu.

Ce 31 Mai 1821, à 3 heures après midi.

Elle ne veut plus me voir! Oui, c ’est une preuve qu’elle me méprise; mais pourquoi y mêler encore ce persiflage amer qu’elle me fait essayer. Elle m’envoie dire par sa femme de chambre que c’est une honte de m’en aller, et si j’ai un billet pour elle, que je la remette par cette fille. C’est donc de mes lettres qu’on a besoin, et non pas de celui qui les a écrites; on en fera une lecture agréable à quelqu’un plus heureux que moi! Néanmoins je me suis soumis à cette nouvelle humiliation, j’ai remis le billet et le dicton que j’ai préparé pour elle, et n’ai rien dit à la fille et je suis parti. Mon cœur était navré, ma tête prête à se fendre; je n’ai jamais éprouvé un si grand tintement dans les tempes; j’étais prêt à tomber en défaillance. J’ai marché toujours: j’ai oublié qu’il existe des bateaux sur la Neva, de sorte qu’au sortir de ma rêverie je me suis trouvé au pont de la Trinité. Je me suis glissé le long du jardin sans me laisser apercevoir, ma lheureusement Pletneff et sa femme m’ont reconnu: j’ai d û faire un tour avec eux. En passant près d’un banc j’ai remarqué son père, et quelqu’indisposé que j’eus été à rencontrer tout ce qui la rappelle, j’ai pour-tant salué bien respectueusement ce bon viellard.

Arriv é chez moi, par mouvement involontaire dont je ne peux pas me rendre compte à moi-même, j’ai cherché mes pistolets, que je n’ai pas pris depuis l’affaire de S… Je n’ai pas voulu certainement me brûler la cervelle: mais pourquoi ces pistolets, cette poudre et balles? Encore un moment, avec mon caractère propre à s’enflammer, et peut-être s’en était fait. Le bon viellard Schubnikoff m’apporta les mouchoirs que la blanchisseuse lui a laissé en mon abscence; il a vu les pistolets, il a vu mon air sombre et il a paru frémir. Je l’ai rassuré; je lui ai dit que comme nous étions sur le point d’aller à la campagne, j’en aurais peut-être besoin pour être en sûreté dans mes promenades solitaires au fond des b ois: il en a paru satisfait. Je me suis remis au bout d’une demi-heure.

A 5 heures.

Au d îner le Prince m’a demandé, comme c’était mardi, pourquoi je ne dînais pas chez mes connaissances. Madame Gol… m’a jeté un regard scruta-teur, j’étais interdit et mal à mon aise: j’ai balbutié quelque chose au Prince et ce quelque chose n’avait pas le sens commun.

Pauvre Archippe! mourir à 26 ans! un si bon sujet, un excellent sujet, comme il nous a servi tous, en route, à Paris: il m’était très attaché. Le prince a beaucoup pleuré: moi-même j’ai versé des larmes à la mémoire d’un ami plutôt que d’un serviteur zélé; car l’intérêt qu’il me témoignait était plus tendre, plus cordial que celui d’un domestique. Le prince n’a pas pu dormir de toute la nuit; il a fait des gratifications au garde-malade du pauvre Archippe. Comme il était assidu à apprendre le vocabulaire allemand et français pendant le voyage, ce pauvre garçon! comme il se répandait en civilités à sa manière devant la petite génévoise de Paris. Et mourir à 26 ans, dans toute la force de la santé! Mais je te porte envie, bon Archippe, on ne te tracassera plus. Repo-se-toi en paix!

Ce 1 Juin, 1821 à 6 heures du matin.

Hier à 7 heures je suis allé à Société des Zélateurs. J’arrive et je ne trouve personne, pas une âme humaine; la porte est encore fermée. J’entre chez Menschenine, il est sorti avant midi. Je vais frapper à la porte de Boulga-rine, de Jakowleff, de Senkowsky – personne à la maison. Yakowleff, m’a-t-on dit, dîne chez elle; peut-être lui parlera-t-elle de ma prétendu impolitesse: elle taxe ainsi ses connaissances lorsqu’elle leur fait des injustices. Cependant, que devenir? M’en retourner sur mes pas, le trajet est assez long et puis à 8 heures demi il faut encore revenir. Allons rôder sans but et sans raison. Me voilà devant le Grand Théâtre. On donne les Deux Figaros. Entrons-y en attendant. J’occupe la place du Prince; j’applaudis à tous les propos lancés contre les femmes, je me fais quelquefois allusion à ma propre situation. Oh! que

j ’étais fâché! que j’en voulais à tout le sexe. Ça m’a plongé dans une longue rêverie: j’ai passé en revue les avances de ma charmante cousine, l’inconstante Nanine: puis la volage Annette L….vicz, puis Antoinette T…rgersky: je ne me suis reposé que sur le souvenir de la douce Joséphine: celle-là ne voulait pas me tromper, elle ne me donnait point d’espérances, mais elle m’aimait d’ami-tié. Bonne, aimable Joséphine, tu pleurais en quittant W… ting, tu me disais: si vous passez un jour en France, venez me voir. Et j’ai été en Yasselonne à six lieues de Saint-Diez sans pouvoir venir te voir. Reçois un soupir, bonne D…

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