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Читем онлайн С.Д.П. Из истории литературного быта пушкинской поры - Вадим Вацуро

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Depuis ce temps-l à elle a changé totalement sa conduite à mon égard. Elle me boudait, elle me reprochait même le désir d’être heureux pendant ce fatal tête-à-tête. J’ai vu alors son triomphe et ma défaite; j’at vu que je perdais dans son opinion et qu’elle voulait se prévaloir de l’ombre de faveur qu’elle m’avait une fois accordée. Enfin, donnant la préférence à mes yeux tantôt à celui-là, tantôt à cet autre, elle avait cru me blesser, m’outrager par ses démar-ches. Parlant sans cesse à l’ècart aux autres, elle n’a pas voulu me laisser dire deux mots de suite; si je me trouvais seul avec elle, elle affectait une hauteur et une espèce de mépris, dont elle voulait sans doute m’accabler. Elle s’y trompe: je suis le premier à reconnaître mon peu de mérite; et surtout j’étu-diais bien mon extérieur simple et bénin, que je n’ai jamais pris la peine de composer. Et dernièrement, sachant que je suis venu, elle envoyait sa fille de chambre, tantôt pour prendre un livre, tantôt pour lui apporter un coussin ce qui voulait dire d’une maniére très visible: je sais que tu est là, mais je veux te mortifier, te outrager… Et pourquoi? pour un vain caprice… Oh! cela n’a pas de nom… Mes resolutions sont prises: adieu, Madame! j’ai vingt huit ans et je suis déjà las d’être le jouet de vos fantaisies; il est temps d e se reposer un peu.

Ce 31 Mai 1821, à 3 heures après midi.

Elle ne veut plus me voir! Oui, c ’est une preuve qu’elle me méprise; mais pourquoi y mêler encore ce persiflage amer qu’elle me fait essayer. Elle m’envoie dire par sa femme de chambre que c’est une honte de m’en aller, et si j’ai un billet pour elle, que je la remette par cette fille. C’est donc de mes lettres qu’on a besoin, et non pas de celui qui les a écrites; on en fera une lecture agréable à quelqu’un plus heureux que moi! Néanmoins je me suis soumis à cette nouvelle humiliation, j’ai remis le billet et le dicton que j’ai préparé pour elle, et n’ai rien dit à la fille et je suis parti. Mon cœur était navré, ma tête prête à se fendre; je n’ai jamais éprouvé un si grand tintement dans les tempes; j’étais prêt à tomber en défaillance. J’ai marché toujours: j’ai oublié qu’il existe des bateaux sur la Neva, de sorte qu’au sortir de ma rêverie je me suis trouvé au pont de la Trinité. Je me suis glissé le long du jardin sans me laisser apercevoir, ma lheureusement Pletneff et sa femme m’ont reconnu: j’ai d û faire un tour avec eux. En passant près d’un banc j’ai remarqué son père, et quelqu’indisposé que j’eus été à rencontrer tout ce qui la rappelle, j’ai pour-tant salué bien respectueusement ce bon viellard.

Arriv é chez moi, par mouvement involontaire dont je ne peux pas me rendre compte à moi-même, j’ai cherché mes pistolets, que je n’ai pas pris depuis l’affaire de S… Je n’ai pas voulu certainement me brûler la cervelle: mais pourquoi ces pistolets, cette poudre et balles? Encore un moment, avec mon caractère propre à s’enflammer, et peut-être s’en était fait. Le bon viellard Schubnikoff m’apporta les mouchoirs que la blanchisseuse lui a laissé en mon abscence; il a vu les pistolets, il a vu mon air sombre et il a paru frémir. Je l’ai rassuré; je lui ai dit que comme nous étions sur le point d’aller à la campagne, j’en aurais peut-être besoin pour être en sûreté dans mes promenades solitaires au fond des b ois: il en a paru satisfait. Je me suis remis au bout d’une demi-heure.

A 5 heures.

Au d îner le Prince m’a demandé, comme c’était mardi, pourquoi je ne dînais pas chez mes connaissances. Madame Gol… m’a jeté un regard scruta-teur, j’étais interdit et mal à mon aise: j’ai balbutié quelque chose au Prince et ce quelque chose n’avait pas le sens commun.

Pauvre Archippe! mourir à 26 ans! un si bon sujet, un excellent sujet, comme il nous a servi tous, en route, à Paris: il m’était très attaché. Le prince a beaucoup pleuré: moi-même j’ai versé des larmes à la mémoire d’un ami plutôt que d’un serviteur zélé; car l’intérêt qu’il me témoignait était plus tendre, plus cordial que celui d’un domestique. Le prince n’a pas pu dormir de toute la nuit; il a fait des gratifications au garde-malade du pauvre Archippe. Comme il était assidu à apprendre le vocabulaire allemand et français pendant le voyage, ce pauvre garçon! comme il se répandait en civilités à sa manière devant la petite génévoise de Paris. Et mourir à 26 ans, dans toute la force de la santé! Mais je te porte envie, bon Archippe, on ne te tracassera plus. Repo-se-toi en paix!

Ce 1 Juin, 1821 à 6 heures du matin.

Hier à 7 heures je suis allé à Société des Zélateurs. J’arrive et je ne trouve personne, pas une âme humaine; la porte est encore fermée. J’entre chez Menschenine, il est sorti avant midi. Je vais frapper à la porte de Boulga-rine, de Jakowleff, de Senkowsky — personne à la maison. Yakowleff, m’a-t-on dit, dîne chez elle; peut-être lui parlera-t-elle de ma prétendu impolitesse: elle taxe ainsi ses connaissances lorsqu’elle leur fait des injustices. Cependant, que devenir? M’en retourner sur mes pas, le trajet est assez long et puis à 8 heures demi il faut encore revenir. Allons rôder sans but et sans raison. Me voilà devant le Grand Théâtre. On donne les Deux Figaros. Entrons-y en attendant. J’occupe la place du Prince; j’applaudis à tous les propos lancés contre les femmes, je me fais quelquefois allusion à ma propre situation. Oh! que

j ’étais fâché! que j’en voulais à tout le sexe. Ça m’a plongé dans une longue rêverie: j’ai passé en revue les avances de ma charmante cousine, l’inconstante Nanine: puis la volage Annette L….vicz, puis Antoinette T…rgersky: je ne me suis reposé que sur le souvenir de la douce Joséphine: celle-là ne voulait pas me tromper, elle ne me donnait point d’espérances, mais elle m’aimait d’ami-tié. Bonne, aimable Joséphine, tu pleurais en quittant W… ting, tu me disais: si vous passez un jour en France, venez me voir. Et j’ai été en Yasselonne à six lieues de Saint-Diez sans pouvoir venir te voir. Reçois un soupir, bonne D…

Je r êvais, je me transportais tantôt dans la terre de mon oncle, tantôt à Charkoff, chez aimable Catiche Str…, tantôt à W… no, tantôt en Pologne, et les heures s’éculaient. Me voilà reveillé de mes pensées par une voix qui me souhaite le bonjour, je me retourne, je vois Mr. Fleury: je lui demande l’heure qu’il est. — II est neuf heures passées, dit-il. Je me lève et je m’enfuis pour arriver à temps à la société. Glinka, Boulgarine, Baratynski, Delvig etc. me font force amitiés. Je me contrains à rire avec eux et je ne joue pas mal mon rôle. J’ai proposé le Colonel Noroff pour être admis comme membre de la so-ciété: lundi en huit il sera reçu, je l’en préviendrai jeudi.

A minuit j ’ai passé de nouveau chez Jakowleff, j’y ai trouvé Baktine. Nous avons passé en revue les personnes du haut partage, les gens en places et nous avons ri de très bon cœur. Le cernement de ces deux jeunes gens m’est infiniment agréable, surtout quand nous faisons le trio. De l’esprit sans préten-tions, des observations vraies, un tact juste — voilà leur caractéristique; c’est à la fois amusant et instructif.

Elle n ’a pourtant rien dit à Jakowleff sur mon compte. Elle le boud e.

Je suis rentr é à dix heures et je me suis couché, je n’ai pu rien lire selon mon habitude: je n’ai pas eu le cœur à la lecture.

Aujourd ’hui je me suis réveillé à six heures. Ma tête est pesante et mon cœur vide.

Je r éfléchissais sur ce que j’ai à entreprendre. Ne plus y revenir serait le plus salutaire à mon repos: mais ça aurait blessé les convenances; ça aurait donné des soupçons au mari de la dame. Pourquoi la compromettrais-je? Le plus convenable est d’engager le Prince à déménager le plutôt possible à la campagne — ceci m’aurait servi d’excuse et m’aurait épargné la mortification de m’exposer encore aux caprices de Madame.

Mr Schydlowsky doit arriver dans quelques jours. La Princesse Barbe m’a dit bien des choses de sa part. C’est sur le sein de cet ami que je me repo-serai de la tourmente que j’ai essuyée en son absence. En vérité s’il était ici dans ce temps-là, j’aurais toujours été avec lui et son aimable épouse, je n’au-rais pas alors écouté Yakowleff qui voulait absolument me faire faire connais-sance avec la maison de Mme P…. reff. Il me persuadait qu’on désirait m’avoir dans cette maison: je me proposais le plaisir de connaître une femme accom-plie, qui possède une infinité de connaissances et de talents, qui est aimable, folâtre, etc. etc. Son époux vient deux fois aux soirées d’Ismaïloff, nous faisons connaissance ensemble, il m’invite à venir chez lui et je lui ai dit que j’y viendrais, bien sûr de ne jamais faire usage de ses avances. Je viens un soir

chez Jakowleff, j ’y trouve un jeune Portugais et M. Baktine; nous causons ensemble et voilà une voix de femme qui se fait entendre dans l’antichambre. J’avais déjà sur la bouche le compliment à faire à Yakowleff, lorsqu’il dit: C’est S… D… Je vois entrer une jeune dame, je reconnais M-r P…reff dans celui qui la suivait; je crois encore voir un visage que j’ai vu quelque part et que je me remets dans la mémoire pour celui de M. T…hoff que j’ai vu autre-fois à Charkoff.

Cette premi ére entrevue ne fit pas une grande impression sur moi: j’ai vu en elle une dame très-aimable, d’un babil charmant: j’ai tâché, autant que je l’ai pu, d’être gai et poli auprès d’elle; il me paraissait d’abord que je ne courais aucun danger, ce qui m’a rendu peut-être un peu trop franc et jaseur cette soirée. Je n’aime pas la contrainte, mais cette fois-ci je me suis mis à une table de wiste que je déteste, ce qui m’est aussi arrivé mainte et mainte fois par la suite. Je parlais moi-même, j’ai remarqué que c’était trop, mais j’allais toujours mon train pour faire voir que je n’aime pas à me contraindre ni à en-velopper mon peu de mérite dans un dehors de la fausse réserve: je ne sais si j’ai plu ou deplu par là. Le hazard m’a procuré l’honneur de jouer deux roberts de suite avec la Dame; Mr. Baktine, frère ainé de Nicolas, a voulu faire briller son talent de bel-esprit, en disant que nous étions inséparables; la politesse exigeait que je dise un mot de compliment; aussi je n’ai pas manqué de dire que ce serait un bonheur pour moi. La Dame a bientôt interrompu la partie; el-le m’a paru un peu piquée. Un moment après je l’ai entendu dire à Mr. Jean Baktine: qu’est-ce que ce compliment? J’ai cru entendre qu’il s’agissait du mien, mais j’ai eu bien l’air de n’y faire aucune attention, je n’ai pas changé d’humeur tout le reste de la soirée. En passant la Dame m’a dit force compliments, qu’elle serait, par exemple, enchantée de me voir chez elle, etc. etc. J’y ai repondu tant bien que mal et nous nous séparâmes.

La premi ère fois que j’ai été chez elle, j’étais enchanté; elle a été d’une gaieté charmante: beaucoup d’esprit, une saillie naturelle, quelquefois du sentiment. Je ne l’ai jamais vu depuis de cette humeur-ci. Je peux me vanter d’avoir été d’abord traité avec plus d’égard que Panaïeff et quelques autres de mes connaissances: avec eux elle ne s’y prenait que par des enfantillages; la comparaison que j’ai fait depuis a dû flatter ma petite gloriole. Cependant j’ai toujours tenu ferme; j’ai été d’une politesse et d’une réserve désespérante; et même par la suite faisant pour elle des poésies bien tendres, j’ai toujours été circonspect et même froid dans ma conduite personnelle; de sorte qu’ayant une fois pris congé d’elle lorsqu’elle me demandait quand je reviendrais et que je lui ai repondu que mon unique bonheur est de la voir aussi souvent que possible, elle m’a dit qu’on ne me prendrait jamais, et que je suis ardent dans les paroles et froid dans le cœur. C’était déjà un avis au lecteur: quelqu’un plus prudent et plus défiant que moi aurait compris qu’on ne tarderait pas à se ven-ger de cette prétendue froideur; moi je n’ai pas voulu être sur mes gardes et j’ai donné dans le panneau.

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